L'aphantasie et l'hyperphantasie

Visualiser ou ne pas visualiser

Le champ de conscience reste un domaine peu étudié jusqu’ici. Or il est essentiel de mieux comprendre comment fonctionne notre esprit. Pourquoi me direz-vous ? Tout d’abord pour commencer par mieux comprendre comment nous percevons la réalité objective. Ensuite pour mieux pouvoir utiliser les programmes de développement personnel. Le catalogue Psioplanet propose des dizaines de programmes de méditation ou de visualisation ou encore de relaxation. La plupart font appel à l’imagerie cérébrale.

Or, une découverte récente bouleverse ces méthodes d’entraînement à la relaxation ou à la visualisation. Il s’avère que certaines personnes ont une incapacité (ou une capacité réduite)  à évoquer des images mentales. Une étude publiée récemment dans la revue Cortex, nomme cette condition « aphantasie » d'après le mot grec « phantasia » utilisé par Aristote pour décrire le pouvoir de l'imagerie ou de l'imagination visuelle.
En 2010, Adam Z.J. Zeman de l'Université d'Exeter au Royaume-Uni et ses collègues ont mené une étude à ce sujet. Après que le journaliste Carl Zimmer du New York Times eut popularisé cette étude en la rapportant dans le magazine Discover, les chercheurs ont été contactés par plusieurs personnes qui se reconnaissaient dans la description de cette « cécité de l'imagination ». Certaines d'entre elles rapportaient que des membres de leur famille présentaient aussi le même déficit. C'est avec ces personnes que Zeman et ses collègues ont mené une étude plus approfondie.
L'aphantasie, comme son nom l'indique, caractérise « un défaut d'imagination » soit une incapacité à former des images mentales. Lorsque vous êtes atteint de cette caractéristique, vous faites l'expérience d'une sorte d’incapacité à rechercher des données captées dans votre champs de conscience visuel : impossible de vous représenter un lieu, une personne, une scène, si vous ne l'avez pas devant les yeux en temps réel !  Il s’agit précisément d’une incapacité à se remémorer les données visuelles par la volonté. En effet, l'image mentale sert à fixer une idée, un concept ou une représentation dans votre esprit afin que vous puissiez l'examiner en détail pour résoudre un problème ou vous rappeler d'un détail. C'est un processus tout à fait normal pour la plupart d'entre nous. Mais pas pour tout le monde !
Les personnes qui sont aphantasiques n’ont jamais réalisé qu’elles ne pouvaient avoir accès à des images mentales. Ils vivent naturellement sans avoir accès à ces données. Il faut noter qu’il n’y a pas encore eu assez d’études qui définissent exactement ce profil mental. Aussi , j’ai commencé à l’étudier sur plusieurs personnes dans mon entourage proche.

Différents types au niveau des champs de la conscience

Le cas le plus courant sont des personnes incapables volontairement de se rappeler des données visuelles et de former une image mentale. Il y a aussi des personnes qui sont incapables de se rappeler une mélodie, une sensation tactile ou l’atmosphère de tel ou tel lieu. Il existe aussi des personnes ne pouvant se remémorer un goût ou une odeur. Et pour terminer il y a encore l’incapacité à se rappeler un mouvement ou une orientation dans l’espace. Cela fait beaucoup de différence dans l’appréciation du champ de « conscience remémoré ». Quelle diversité !


V=visuel | A=auditif | S=sensoriel | O=olfactif | G=gustatif | K=kinésique | E=équilibre

Mémoire visuelle manquante, absence d’imagerie ou déficit de génération de l’imagerie ?

Il faut différencier la mémoire visuelle qui dans certains cas est conservée mais avec une imagerie visuelle absente. Le champ de conscience remémoré est présent mais la capacité à générer une image ne fonctionne pas ou pas bien. On voit donc qu’il existe une grande variété dans les profils mentaux. Des études cliniques précédentes ont suggéré l'existence de deux grands types de déficits de l'imagerie visuelle : 1) des troubles de la mémoire visuelle, causant à la fois l'agnosie visuelle et la perte de l'imagerie et 2) le déficit uniquement de « génération de l'imagerie ».

Une preuve de plus que le subconscient existe bel et bien !

Dans tous les cas, nous sommes dans la sphère de la mémoire consciente. On peut ou non faire appel à des données visuelles emmagasinées dans le champ de conscience visuel. Il s’agit d’un accès volontaire. Les personnes aphantasiques n’ont pas accès à ces données de manière volontaire. Or, une personne aphantasique pourra par contre reconnaître un visage, même un visage croisé deux ans auparavant… Elle pourra rêver même en couleur et en cas de coma, voir des scènes imagées. Ceci est la preuve irréfutable que la mémoire inconsciente ou subconsciente existe pour peu que certains hésitaient encore à l’admettre aujourd’hui ! Oui, le subconscient existe bel et bien et nous en avons la preuve avec la reconnaissance du visage, données visuelles totalement inaccessibles par la pensée volontaire des personnes aphantasiques. Les données existent mais elles ne sont pas accessibles par le mécanisme de l’attention volontaire !

Une maladie ou une autre façon de penser ?

Les personnes aphantasiques sont cependant capables d’exercer un métier qui exige un effort créatif constant pour inventer et améliorer par exemple des logiciels. Comment est-ce possible ? Pour cela, elles compenseront le non accès mémoriel en s'orientant de manière rationnelle dans un réseau de concepts et de raisonnements. D'où vient l'aphantasie ? Est-ce un défaut neurologique, une maladie dégénérative, un problème fonctionnel, un problème structurel ? La combinaison de facteurs psychologiques et neuropathologiques ? Les chercheurs ont du mal à se prononcer avec précision pour le moment, faute d'un nombre suffisant de sujets à étudier. Il faut dire que les personnes victimes d'aphantasie ont la fâcheuse tendance à ne jamais prendre conscience de leur condition, puisque apparemment, on peut vivre une vie parfaitement normale sans jamais mobiliser d'images mentales. C’est ce qui explique pourquoi cette observation n’avait pas été mise en évidence plus tôt. En 2009, une étude portant sur 2500 sujets à évalué à 2,1-2,7% la proportion d'individus affirmant ne pas posséder d'imagination visuelle, mais il faudra attendre des études plus rigoureuses pour pouvoir s'en assurer.
Le diagnostic d'une « incapacité à visualiser » existe depuis longtemps ; on en trouve les premières traces dans la littérature à travers les descriptions de Galton dans son ouvrage Statistics of mental imagery publié en 1880. En outre, les médecins s'accordent sur un fait : il n'existe pas d'un côté les personnes possédant « un œil mental » et de l'autre, les personnes qui n'en possèdent pas. Le plus probable est qu'il existe un gradient dans la netteté des images mentales que nous sommes capables de former. Certains pourront faire défiler de véritables films HD dans leur esprit, tandis que d'autres n'auront droit qu’à des images diffuses, floues, évanescentes. Dans le cas de l'aphantasie, évidemment, on ne voit rien du tout.
En 2010, Zimmer et ses collègues ont publié cette étude en demandant à des sujets de répondre à un questionnaire (Vividness of visual imagery questionnaire) : « Visualisez un ami ou un proche que vous voyez souvent. À quel point les contours de son visage, de sa tête, de ses épaules et de son corps sont-ils précis ? » « Visualisez un lever le soleil et examinez les détails de votre image mentale avec soin. À quel point la représentation du soleil se levant au-dessus de l'horizon dans un ciel brumeux est-elle précise ? » Même s'il ne suffira pas à tirer des conclusions sur les formes de l'aphantasie et ses caractéristiques étiologiques et épidémiologiques, les réponses des sujets nous rappellent un fait essentiel : nous avons tendance à croire que notre manière de penser, de raisonner et de percevoir est universelle. Or, il n'en est rien. Derrière chaque cerveau se cache un imaginaire qui ne ressemble à aucun autre.

L’imagination et la visualisation

La capacité d’imaginer existe selon des degrés divers : d’images vagues à des images très précises jusqu’à des capacités d’imagerie animée comme des films en 3D avec des scénarios à volonté dans lesquels les personnages par exemple dont on a retenu les données visuelles pourront être placé pratiquement dans n’importe quelle autre situation purement fictive. Jusque là tout se passe « normalement ». Le sujet doué d’imagerie mentale n’en souffre pas et son entourage sait simplement qu’il est souvent plongé dans ses pensées. On parle donc de « champ visuel remémoré » et de « champ visuel anticipatif ».

L’hyperphantasie

Comme pour chaque domaine relatif à la psyché humaine, il existe une version extrême de cette caractéristique et si cette capacité involontaire se développe anormalement,  cela peut selon certain en faire une pathologie : des chercheurs décrivent un trouble de rêverie dite excessive, inadaptée ou compulsive (« excessive daydreaming », « Compulsive fantasy »). Après la publication en 2009 par les psychologues Cynthia Schupak et Jesse Rosenthal d'une étude décrivant une histoire de cas et discutant de la « rêverie excessive », ainsi que la publication en 2002 d'une étude par Eli Somer sur la « rêverie inadaptée », « une multitude de forums en ligne et de pages web ont proliféré, sur lesquels des milliers de personnes anonymes à travers le monde témoignent avoir secrètement souffert des mêmes symptômes pendant des années », rapportaient Cynthia Schupak et Jayne Bigelsen en 2011 dans la revue Consciousness and Cognition.

Plusieurs expriment leur surprise et leur soulagement de découvrir qu'ils ne sont pas seuls à vivre ce problème. Plusieurs rapportent aussi avoir fait des tentatives répétées pour obtenir de l'aide psychologique mais les professionnels en santé mentale s'avouaient plutôt dépourvus devant cette problématique. Plusieurs sentaient que leur détresse n'était pas comprise, se faisant dire que la rêverie est créative et bénéfique et qu'ils ne devraient pas s'inquiéter. Leur confusion est amplifiée, disent les chercheurs, par leur incapacité à faire comprendre à la communauté clinique qu'il existe un type de rêverie, qui consiste en une immersion chronique dans des épisodes imaginatifs qui sont « irrésistibles, durables et compulsifs », qui est vécue comme une addiction et qui comporte un lourd poids psychologique et des limitations dans la capacité de s'investir normalement dans la vie.

Schupak et Bigelsen ont mené une étude avec 90 personnes afin de mieux connaître ce trouble et le distinguer de la rêverie normale. L'étude décrit plusieurs caractéristiques concernant la nature des fantasmes ou scénarios imaginés, leurs déclencheurs et leurs fonctions. Le manque de contrôle et la difficulté à limiter l'activité de rêverie dans des périodes de temps appropriées est la préoccupation principale exprimée par les participants. La plupart de ces derniers indiquaient aussi avoir pris très jeune cette habitude. Des recherches futures devraient être menées afin de mieux comprendre le phénomène, estiment les chercheurs, et surtout afin d'étudier des méthodes potentielles pour diminuer la détresse et l'atteinte fonctionnelle vécues par les « rêveurs excessifs ».

Au niveau professionnel ?

L'hyperphantasie caractérisée par une imagerie mentale particulièrement vive, s'avère plus courant dans les professions créatives.
Toujours Adam Zeman, professeur de neurologie cognitive et comportementale à l'université d'Exeter (Royaume-Uni, et ses collègues ont interrogé 2 000 personnes atteintes d'aphantasie et 200 personnes atteintes d'hyperphantasie sur leurs choix de carrière, entre autres sujets. Ils ont également interrogé 200 volontaires d'un groupe de comparaison ayant des images d'intensité moyenne. Plus de 20 % des participants n'ayant pas ou peu d'images visuelles travaillaient dans les sciences, l'informatique ou les mathématiques, tandis que plus de 25 % des personnes ayant une imagerie visuelle forte travaillaient dans les arts, le design, le divertissement et d'autres industries créatives. Les personnes ayant peu ou pas d'images visuelles mentales sont plus susceptibles de travailler dans les domaines scientifiques et mathématiques que dans les secteurs créatifs, montre une étude publiée dans la revue Cortex. L'aphantasie est plus courante dans les industries scientifiques et techniques.

Méditation ou visualisation ?

En ce qui concerne le catalogue PSIO PLANET, il est bon de s’interroger sur l’adéquation à écouter certains programmes plus que d’autres en fonction des caractéristiques de son profil de champ de conscience :
Les exercices de méditation pure conviendront mieux aux personnes incapables de visualiser des images. En effet, ceux-ci axent l’exercice mental sur l’arrêt du cortex comparatif et analytique et encouragent de plonger ses pensées sur le ressenti sensoriel et la respiration. Au contraire les exercices proposant une visualisation de la nature ou de scènes de vacances ou d’état paisibles dans l’enfance conviendront mieux au profil mental possédant une capacité d’imagerie. Ces conclusions ont été vérifiées avec un logiciel de cohérence cardiaque sur environ cinq cent personnes que j’ai eu l’occasion de coacher lors de mes séminaires sur la gestion émotionnelle de 2007 à 2013. Des tentatives de visualisations ratées peuvent même stresser les personnes qui s’avèrent incapables de visualiser des images. Il y a réellement deux profils pour l’entrée rapide en cohérence cardiaque : ceux qui utilisent directement la méditation et ceux qui s’orientent d’emblée vers la visualisation. Le choix de la méditation purement sensorielle est donc bon pour les personnes qui sont peu douées pour la visualisation.

Relaxation par la visualisation ou par les sons & les lumières ?

Les exercices en lâcher prise évoquant des situations de détente dans des environnements apaisants puis des suggestions par l’image fonctionnerons sans doute moins bien que des séances de sons rythmés ou de la musique avec des flash lumineux provoquant l’abandon de l’attention ceci menant résolument le sujet vers la non pensée au bord du sommeil. Le mieux est donc de tester plusieurs types de séance pour vérifier celle(s) qui fonctionneront le mieux et le plus rapidement. Ceci dit , pour les programmes de relaxation, la différence n’est pas claire. En effet, n’oublions pas que l’aphantasique n’a pas accès par l’attention volontaire à l’imagerie mais que son subconscient lui y a accès. Les programmes « audiocaments » principalement bâtis sur la suggestion subconsciente fonctionnerons donc aussi bien pour les deux profils. C’est en tous cas ma conclusion jusqu’ici après 30 ans d’observation sur des milliers de sujets.

MEDITATION

« APHANTASIQUE »

 

VISUALISATION

« PHANTASIQUE »

Questionnaire

Un questionnaire vous permet en ligne de connaître votre niveau d’aphantasie ou d’hyperphantasie :

https://aphantasia.com/vviq/